échec de la construction d'une tour
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Les vertus de l’échec

Notre époque n’aime que la réussite et veut nous fait croire qu’elle seule est valable. Pourtant, si l’aveu de l’échec est oublié, dans la réalité, nous le connaissons tous à un moment ou l’autre de notre vie. Ce déni est bien regrettable car nos erreurs ont beaucoup à nous apprendre, à commencer par mieux nous connaître, mieux cerner nos désirs et, surtout, nous faire progresser. Enquête sur les innombrables bienfaits de nos loupés !

Connaissez-vous le point commun entre Charles de Gaulle, Steve Jobs, Serge Gainsbourg, Barbara et Thomas Edison ? Ils ont tous échoué avant de devenir les personnages célèbres que nous connaissons aujourd’hui. Comme l’écrit le philosophe Charles Pépin, qui a consacré un excellent ouvrage aux vertus de l’échec, qui sait que Serge Gainsbourg rêvait d’être peintre et que c’est l’échec manifeste de son talent pictural qui l’a conduit à la musique ? Que Monique Cerf chantait sous les sifflets, se voyant même proposer un poste de plongeuse dans le cabaret où elle se produisait, avant de devenir Barbara ? Tous ces talents auraient-ils éclos sans connaître de revers ? Charles Pépin en doute : peu auraient pu réussir aussi bien sans passer par la case « déception ». « En écoutant les plus belles chansons de Barbara, on devine la force de caractère qu’elle s’est forgée au cours de toutes ces années d’adversité », note le philosophe. Lorsque le Général a lancé son fameux appel du 18 juin 1940, il l’a fait dans l’indifférence générale, c’est l’Histoire qui fera de ce moment l’acte fondateur de la Résistance. Mais le grand homme estime que les difficultés auxquelles il s’est heurté lui ont donné l’énergie nécessaire à ses combats et ses victoires à venir.

De merveilleux loupés

La science nous enseigne que tout progrès s’appuie sur des essais qui ne peuvent pas toujours réussir. « Un savant qui ne rencontre pas de problème, ne se heurte pas à l’échec de sa première intuition, ne trouvera jamais rien, rappelle Charles Pépin. Les erreurs sont analysées, considérées comme le miel avec lequel on fait des vérités. » Ainsi, Thomas Edison, le célèbre inventeur de l’ampoule électrique, mise au point après des milliers d’échecs, avait l’habitude de répondre à ses collaborateurs : « Je n’ai pas échoué des milliers de fois, j’ai réussi des milliers de tentatives qui n’ont pas fonctionné ! »

Sans parler de toutes les inventions dues à une erreur manifeste, comme celle du champagne – un accident de cuve – ou celle, moins connue, du pacemaker. L’histoire est éclairante : un ingénieur voulait inventer un objet capable de mesurer les battements du coeur, mais au lieu du résultat attendu, l’appareil se mit à émettre des impulsions électriques, lesquelles avaient un effet d’entraînement sur le coeur. Le chercheur venait d’inventer le pacemaker qui sauve chaque année des milliers de vies… L’origine du mot échec viendrait du vieux français eschec, terme apparu au XIe siècle et qui signifie butin. Le butin, c’est aussi bien ce que l’armée prend à l’ennemi que ce que récolte le botaniste en se promenant dans les bois. Dans tous les cas, c’est un signe de victoire. Et si nos échecs étaient nos butins, voire nos trésors ?

Charles Pépin s’étonne de ce désintérêt pour l’échec dans notre pays, où seule la réussite fascine, alors que dans les pays anglo-saxons, il est beaucoup moins dévalorisé. « Aux États- Unis, si l’entrepreneur sait parler de son échec, ce dernier sera vu comme une expérience, une preuve de maturité. Il pourra même se voir accorder un crédit plus facilement que s’il n’avait pas échoué, car on considère qu’il y a au moins un type d’erreurs qu’il ne commettra plus ! » En France, c’est exactement l’inverse. Avoir échoué, c’est être coupable, tandis que de l’autre côté de l’Atlantique, c’est la preuve d’une absence de frilosité à prendre des risques. Cet état d’esprit français a des effets délétères, notamment dans le domaine de l’éducation. « C’est en se trompant qu’on apprend et, au lieu de sanctionner toutes les erreurs, il faudrait au contraire rappeler aux élèves combien les artistes, les génies se sont trompés, leur montrer des carnets d’esquisses loupés, des manuscrits raturés et, devant une mauvaise copie, au lieu de la rendre avec dédain, leur dire « Faites comme Proust, reprenez votre texte » », ironise le philosophe.

Le droit à l’erreur

Occupant un poste de professeur, Charles Pépin a remarqué que les élèves qui rendent d’emblée de bons devoirs s’endorment souvent sur leurs lauriers, tandis que d’autres, qui ont de mauvaises notes au départ, s’accrochent et finissent par devenir meilleurs que les premiers. Il faudrait, poursuit le philosophe, s’intéresser davantage au caractère singulier du ratage d’un élève, à ce qu’il y a d’intéressant et d’original dans sa réflexion, même si son résultat est erroné. Car sans le droit à l’erreur, on échoue encore plus, comme le montre une récente étude. Des chercheurs ont mis deux enfants face à un même exercice, donnant pour consigne au premier de ne surtout pas le rater et au second d’essayer de le faire. À votre avis, lequel des deux a le mieux réussi ? Celui à qui on a présenté l’exercice comme inratable ou celui à qui on a laissé le droit de se tromper ?

Cette pression des adultes sur les jeunes en formation s’explique parce que nous confondons volontiers risque et échec, comme si nos erreurs n’avaient rien à nous apprendre et ne nous permettaient pas d’affiner nos choix. N’est-ce pas en suivant ses premiers cours que le jeune étudiant va savoir si la matière l’intéresse vraiment ou pas ? Comment pourrait-il le savoir avant de se confronter à la réalité ? Et peut-on lui en vouloir, au bout de quelques mois, s’il se rend compte que le droit l’ennuie, que la mécanique n’est pas pour lui ? Il n’y a pourtant rien de plus terrible que de s’engager dans une voie où l’on est certain, dès l’âge de 20 ans, que l’on va s’y ennuyer ferme…

Ce qui transforme une erreur normale en échec douloureux, c’est le fait de mal le vivre. Pourtant, rater, ce n’est pas être un raté. Nous prenons trop souvent l’échec de notre projet pour l’échec de notre personne toute entière. Malheureusement, en s’identifiant de la sorte à nos loupés, nous nous laissons gagner par la honte, le sentiment d’humiliation, nous nous dévalorisons, ce qui n’est pas la meilleure façon de rebondir, ni d’essayer d’en tirer une leçon bénéfique. Car quand il ne nous anéantit pas, l’échec nous donne l’élan de changer, de modifier notre trajectoire. C’est quand le réel nous résiste que nous trouvons un appui pour repartir d’un bon pied. « Les bons élèves sérieux qui débarquent sur le marché du travail sans avoir jamais trébuché, ne leur manquera-t-il pas cette réactivité, si décisive dans notre monde en perpétuelle mutation ? », interroge le philosophe.

Oser l’échec

L’échec nous offre encore une belle leçon d’humilité : échouer, c’est redescendre sur terre, perdre un peu de sa superbe, comme en a fait l’expérience Steve Jobs. Avant d’être viré par les actionnaires de la boîte qu’il avait lui-même créée, il avait été un patron arrogant, qui n’écoutait personne, ne doutant jamais de lui. Une fois dehors, il a réalisé qu’une entreprise n’est pas le seul jouet d’un démiurge, mais une aventure collective. Lorsqu’il réintégrera Apple des années plus tard, il ne commettra plus l’erreur de penser qu’on peut avoir raison tout seul et, de son propre aveu, « le fait d’avoir été renvoyé a été la meilleure chose qui [lui] soit arrivée ».

Notre vie est jalonnée de tâtonnements, d’essais et d’erreurs, à moins de rester figé, tétanisé par la peur de faire des mauvais choix. Lorsque ses musiciens avaient peur de mal faire, Miles Davis leur rappelait qu’il n’y a pas de pire erreur que de vouloir n’en commettre aucune. « Quand vous jouez une seule note, seule la suivante permettra de dire si elle était juste ou fausse, leur expliquait l’artiste. Il n’existe pas de fausse note dans l’absolu. »

Il n’y a que l’action qui libère de la peur de l’échec. « Le perfectionniste pense qu’il faut tout savoir sur le sujet avant de se lancer ; résultat, soit il ne se lance jamais, soit il le fait mal, souligne encore Charles Pépin. Il faudrait toujours garder à l’esprit que le plus terrible est de ne rien tenter : l’échec sans avoir rien osé fait encore plus mal. » Combien de vies gâchées tout simplement parce qu’au moment d’oser, nous avons été terrassés par la peur d’échouer ? L’audace ne délivre pas de la peur mais celle-ci devient alors un moteur, et non un argument commode pour rester sur place. Le créateur de Virgin, Richard Branson, aime à rappeler cette formule : « Les audacieux ne vivent pas longtemps… Mais les autres ne vivent pas du tout ! »

Son véritable désir

Faire l’expérience de l’échec, c’est également éprouver son désir, toucher du doigt qu’il est encore plus fort que la frustration subie. J.K. Rowling, l’auteure d’Harry Potter, avant de se lancer dans l’écriture de la saga du petit sorcier qui allait assurer sa fortune, avait tout perdu : abandonnée par son mari avec un bébé à élever, au chômage, elle a vraiment touché le fond avant de rebondir et de se mettre à rédiger son premier livre dans les pubs d’Edimbourg. Une fois le volume terminé, elle dut encore essuyer le refus d’une douzaine d’éditeurs avant de trouver une maison qui accepte de la publier. Voilà la leçon qu’elle tire de cette incroyable aventure : « Il est impossible de vivre sans rater quelque chose, à moins de vivre avec la plus extrême prudence, autant dire ne pas vivre du tout. L’échec m’a donné confiance en moi. L’échec m’a appris certaines choses que je n’aurais jamais pu apprendre autrement. »

On peut même aller plus loin : et si elle avait mis en sourdine son formidable talent parce qu’elle était prisonnière d’un mariage malheureux et d’un poste salarié qui ne lui laissait aucune plage de libre pour la création ? Michel Tournier en est également l’exemple. Il a échoué plusieurs fois à l’agrégation de philosophie, ce qui l’a rendu dans un premier temps très malheureux. Mais très vite, il s’est mis à écrire des romans, pour devenir l’immense écrivain que l’on connaît. Hypothèse de Charles Pépin : et si son véritable désir s’était niché dans cette activité plus que dans une carrière universitaire ? Les psys nous conseillent d’ailleurs, pour surmonter nos échecs, de ne pas les voir comme des accidents mais comme s’ils manifestaient une intention cachée. La situation surgit alors sous un jour totalement neuf. Enfin, pour conclure, le philosophe nous rappelle une donnée essentielle et réjouissante : nous pouvons échouer parce que nous sommes des hommes – les animaux, n’ayant pas de libre arbitre, n’échouent jamais – et parce que nous sommes libres : libres de nous tromper, libres de nous corriger, libres de progresser. Constat que le dramaturge Samuel Beckett résume par cette délicieuse formule : « Déjà essayé. Déjà échoué. Peu importe. Essaye encore. Échoue encore. Échoue mieux. »

Bernadette COSTA-PRADES

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