Le télétravail : connaître les risques pour mieux les prévenir
La démocratisation du télétravail s’accompagne d’une augmentation des risques d’apparition de troubles physiques et psychiques liés aux spécificités de l’exercice. Adapter son espace de travail, entretenir sa santé, s’astreindre à des horaires précis et maintenir des liens professionnels permet toutefois de prévenir la majorité de ces risques. Revue de détail.
La pandémie de covid 19 a impulsé une modification en profondeur des pratiques professionnelles, avec la démocratisation imposée, puis confortée, du télétravail. En 2021, près de 22% des salariés ont ainsi œuvré en distanciel chaque semaine, dont 6 % au moins la moitié du temps, selon l’Insee. Souvent synonyme de sécurité sanitaire, d’équilibre familial retrouvé et de réduction de l’empreinte environnementale liée aux transports, cette (r)évolution à marche forcée s’accompagne cependant de préoccupations légitimes concernant les risques pour la santé des télétravailleurs.
Si les entreprises sont encouragées à accompagner leurs collaborateurs dans les comportements préventifs à instaurer et à respecter pour assurer leur bien-être physique et psychique, un peu de bon sens et beaucoup de rigueur à l’échelle individuelle permettent déjà de parer aux principales menaces.
Hacking, le risque numérique du télétravail
Face cachée du télétravail : le piratage informatique, qui a fait un bond avec le confinement. « Sur les premiers mois de 2020, avec la crise du coronavirus, nous avons constaté une augmentation de plus de 30 000 % des attaques informatiques de type hameçonnage (phishing, en anglais), des logiciels malveillants ou des sites malicieux qui ciblent des utilisateurs à distance pour leur soutirer des informations sensibles », témoignait ainsi sur France Inter Didier Schreiber, directeur marketing chez Zscaler, société de surveillance et de protection des données. L’explication est aisée : les cyber-risques sont souvent négligés par les personnes travaillant depuis leur domicile, alors qu’ils sont bien supérieurs à ceux rencontrés dans les locaux de l’entreprise, dont le département informatique met en place de multiples mesures de sécurité.
Face aux risques d’hameçonnage, rançongiciel, faux ordre de virement, virus informatique, et autre usurpation d’identité, les actions préventives sont simples, à défaut d’être 100 % efficaces : toujours utiliser l’ordinateur confié par son entreprise, protégé par un système de sécurité embarqué et des mécanismes de défense virale.
A contrario, prohiber les échanges via l’ordinateur familial, ces derniers étant généralement vulnérables aux cyber-attaques. Des logiciels de sécurisation (pare-feu, antivirus, anti-malware…), des mots de passe sécurisés et un VPN de qualité et à jour aident à réduire les risques, tout en conservant à l’esprit un principe de précaution face aux pièces jointes et aux messages invitant à cliquer sur un lien, quel que soit l’expéditeur.
Interdiction de garder la pose !
« Télétravail » rime souvent avec « poste informatique inadapté, sur un coin de table ». Résultat : une exposition accentuée à l’apparition de troubles musculo-squelettiques (TMS). Lombalgies, cervicalgies, douleurs aux épaules, syndromes du canal carpien et épicondylites sont les principaux maux retrouvés chez les personnes restant assises devant leur ordinateur, en particulier à domicile.
« Contrairement aux idées reçues, ces troubles, en particulier le mal de dos, ne sont pas liés à la position adoptée. On ne se blesse pas parce qu’on est mal assis, mais parce qu’on est assis trop longtemps, éclaire Antoine Gioria, kinésithérapeute et ergonome expert du sujet. Il faut dédiaboliser les postures et expliquer que le plus important, c’est de bouger régulièrement autour de la position physiologique “neutre” sur son fauteuil. »
Aménager son espace de travail
Indissociable de la posture, la composition de l’espace de travail joue un grand rôle dans la survenue de troubles musculosquelettiques. Quelques conseils ? « Se constituer un vrai coin bureau et régler les différents outils de travail en fonction de sa morphologie : siège à bonne hauteur, écran à hauteur des yeux via un “réhausseur maison” – boîte, ramette de papier, livre(s)… Il est également primordial de s’abstenir de travailler directement au pad sur son ordinateur portable, qui n’a pas été conçu pour cela. Il est bien plus ergonomique de connecter une souris et un clavier externe », insiste Antoine Gioria.
S’il est rare que les entreprises financent ces achats pour leurs salariés, l’investissement reste minime pour un gain notable de confort et une prévention efficace de douleurs qui peuvent s’avérer récurrentes et handicapantes.
Actif de corps et d’esprit
L’espace de travail est optimisé ? Reste désormais à penser à s’en éloigner régulièrement. Le télétravail accroît de fait une sédentarité déjà excessive dans nos sociétés modernes, qui consomment plus de calories qu’elles n’en dépensent, exposant aux pathologies associées à la surcharge pondérale : diabète, troubles cardiovasculaires, AVC, cancers…
« L’idéal est de sortir courir ou pratiquer une activité physique régulière. Sinon, il convient au minimum de se lever de son fauteuil et de réaliser quelques exercices assortis de mouvements de mobilisation des zones à risque — cou, poignets, épaules, dos — une fois par demi-journée, idéalement deux. Internet regorge d’exemples à pratiquer chez soi », indique Antoine Gioria. Autre avantage : entretenir sa forme favorise un mieux-être global qui participe à se sentir bien dans son corps, mais aussi dans sa tête.
L’isolement, source de stress…
Les risques psychosociaux sont de facto un autre pan incontournable de la prévention dans le cadre du télétravail. « Ces risques sont directement liés à l’isolement et augmentent avec le temps passé à domicile. Les personnes 100 % en télétravail sont par conséquent les plus exposées », explique la psychologue-psychothérapeute Eléonore Lepez. Corollaire classique de l’isolement : une surcharge de travail et de stress, qu’elle soit le fait de managers incapables de gérer leurs équipes à distance ou de salariés qui n’arrivent pas à faire la part des choses et s’imposer des limites.
« Fréquent, ce phénomène est accentué par l’exiguïté de beaucoup de domiciles urbains, qui font que lieu de vie et lieu de travail se confondent souvent. La meilleure réponse consiste alors à établir et s’astreindre à une routine quotidienne similaire à celle adoptée les jours de présentiel : se lever à heure fixe, prendre son petit-déjeuner et se préparer sans jeter un œil à ses écrans, faire une vraie pause repas d’au moins une heure et éteindre son ordinateur en fin de journée, pour déconnecter complètement », détaille la psychologue.
… Et de démotivation
À l’inverse de l’excès de zèle, un risque de découragement plane également au-dessus de certaines têtes pratiquant (trop) le télétravail. « Le côté ultra-formel des relations, qui passent toutes par des messages et des réunions, fait perdre de l’humain et donc du sens. Les gens ne se retrouvent plus à la machine à café pour une discussion informelle, ne passent plus une tête dans un bureau pour poser une “question bête”. Le télétravail crée de la distance, au propre comme au figuré. Certains salariés y sont particulièrement sensibles et peuvent tomber dans un état de démotivation qui peut déboucher sur des états plus graves, de type dépression ou brown out (démission intérieure) », alerte Eléonore Lepez.
Comment contrer cette disparition des repères ? En cherchant du soutien, auprès de ses proches d’une part, mais aussi de son entreprise, qui a obligation de se préoccuper de la qualité de vie de ses salariés. « L’employeur, à l’échelon global, et le manager, à l’échelon individuel, doivent faire en sorte que les collaborateurs retrouvent du temps collectif. Une bonne option est d’alterner présentiel et distanciel, avec des journées où tout le monde vient au bureau, pour recréer et entretenir du lien. »
Outre sa hiérarchie, le médecin du travail, des collègues ayant vécu la même situation, voire un thérapeute, représentent d’autres interlocuteurs vers qui se tourner en cas de mal-être grandissant. L’objectif : ne plus se sentir seul et réintégrer une dynamique de groupe participant au bien-être via l’épanouissement professionnel.
Addictions potentielles
Le télétravail pourrait-il devenir une drogue ? L’idée peut prêter à sourire, mais elle fait écho à une réalité plus sombre : l’isolement lié aux pratiques distancielles favorise les pratiques addictives. Selon une enquête menée par Odoxa pour le compte de la GAE, société spécialisée dans la lutte contre les addictions en entreprise, 75 % des Français interrogés estiment que le télétravail expose nettement plus à des risques liés à l’hyperconnexion ou aux substances psychoactives.
Le temps passé devant les écrans (81 %) ou encore la consommation de tabac (75 %), d’alcool (66 %), de cannabis (55 %), de médicaments (52 %) et d’autres drogues (51 %) sont ainsi plus significatifs en télétravail qu’en présentiel. Les employeurs ont un rôle important à jouer dans la prévention des addictions, via un suivi régulier des collaborateurs particulièrement isolés et la mise en place d’outils, afin d’identifier les situations à risque.
Pour les personnes fragilisées, la sollicitation de professionnels de santé (médecin du travail, médecin traitant, psychologue…) est préconisée, à combiner avec des conseils simples à appliquer au quotidien : maintenir un lien visuel régulier (même par visio-conférence) avec ses collègues, respecter les rythmes veille/sommeil, de repos et de travail, alterner le plus possible avec du présentiel et pratiquer une activité physique régulière.
Qu’ils soient physiques ou psychologiques, les risques inhérents au télétravail demandent un effort collectif de sensibilisation et la mise en place d’actions préventives. « Ils n’appellent, en revanche, nullement à remettre en question ce que la majorité des actifs considère comme une véritable avancée socioprofessionnelle bénéfique pour les employeurs comme pour leurs salariés, pour peu qu’elle soit pratiquée en mode hybride et bien accompagnée », souligne Antoine Gioria en guise de conclusion.
En savoir +
À lire
- Le télétravail : mode d’emploi, de Victoire Delory, éd. du Puits Fleuri, 2021.
- Être efficace en télétravail, de Maïlys Charlier, éd. 50Minutes, 2016.
- Je bouge, même en télétravail ! Séances simples à réaliser à la maison : étirements, mobilité et renforcement musculaire, d’Harmony Ribal, éd. Marie Claire, 2022.
À consulter
- L’Institut national de recherche et de sécurité propose de nombreux dossiers autour du télétravail et de la prévention des risques.
- Le site des pouvoirs publics recense les principaux types de cyberattaques et les réponses à apporter.
Olivier VACHEY
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